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Les Arabes et la Shoah, par Gilbert Achcar

Françoise Germain-Robin *

C’est à une tâche monumentale que s’est attelé Gilbert Achcar avec la publication de cet essai sur la perception arabe de «la persécution et la destruction des juifs d’Europe par le régime nazi». Tâche d’une urgente utilité, à voir les amalgames auxquels se livrent l’historiographie occidentale et la vulgate journalistique sur la question, mettant dans le même sac, antisémite et pro-nazi, la plupart des Arabes de la planète. Un travail qui rappelle celui d’Amin Malouf lorsqu’il nous donna à voir «les croisades vues par les Arabes».

On apprend beaucoup en lisant cet essai fourmillant de références et de citations d’auteurs de toutes origines, mais surtout arabes. Gilbert Achcar a revisité les journaux arabes du temps de la montée du nazisme – qui est aussi celui de la mise en oeuvre du sionisme en Palestine, avec le feu vert de la puissance coloniale britannique. On y voit que l’opposition au sionisme, qui n’a rien à voir avec l’antisémitisme, est née dans la communauté juive d’Europe mais a commencé en Palestine et dans l’Orient arabe bien avant 1933 et l’accession de Hitler au pouvoir. Il s’agit alors pour les Arabes de lutter contre un nouvel envahisseur et une nouvelle forme de colonialisme.

Les Arabes sont loin d’avoir tous la même perception du régime nazi. Si certains, avec le mufti de Jérusalem Amin Al Husseini, collaborent avec Hitler, la plupart des notables et intellectuels, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, rejettent au contraire avec vigueur les théories et les pratiques du nazisme. À la fois pour des raisons éthiques et politiques. Ils sont nombreux à comprendre que «c’est à la Shoah que l’État juif doit d’avoir vu le jour» (p. 52). Et, très vite, l’idée s’impose que les Palestiniens «n’ont pas à payer pour les crimes commis en Europe». Des Arabes, et non des moindres, s’indignent de voir les puissances occidentales – États-Unis en tête – refuser les réfugiés juifs d’Allemagne et d’Autriche. Ils se disent prêts à en accueillir de forts contingents, à condition que cela soit concerté. Dans le même temps, des dirigeants sionistes magouillent avec les autorités nazies pour hâter l’émigration juive en Palestine.

L’apport essentiel du livre est dans l’analyse des positions des divers courants qui traversent les pays arabes, des «libéraux occidentalisés» aux marxistes, en passant par les nationalistes et les islamistes. C’est dans cette dernière catégorie que se recrutent antisémites et négationnistes les plus notoires. Les positions des autres partis sont diverses et évoluent en fonction du conflit. Car, pour l’auteur, «l’antisémitisme est une importation occidentale» que deux éléments ont fait prospérer, contribuant à ce qu’il appelle «un nouvel antisémitisme»: l’aggravation de la colonisation israélienne et «l’industrie de l’Holocauste». Elle a d’abord suscité un négationnisme odieux – surtout en Égypte et en Jordanie. Aujourd’hui, les Palestiniens retournent le raisonnement en se disant eux-mêmes «les juifs d’Israël». Un effet miroir qui interpelle les «justes» d’Israël, pour peu qu’ils échappent à la pensée unique. Ce livre et les débats qu’il ne manquera pas de susciter pourraient y être une puissante contribution.

Historien et politologue, Gilbert Achcar est professeur à l’école des études orientales de l’université de Londres (SOAS). Il a publié avec Noam Chomsky La Poudrière du Moyen-Orient, Fayard.  Cet ouvrage a été publié aux Editions Actes Sud, coll. Sindbad, 2009, 522 p.

Les Arabes et la Shoah, La guerre israélo-arabe des récits, Sindbad-L'Actuel.
Octobre 2009, 528 pages, ISBN 978-2-7427-8242-0

* Critique parue dans le quotidien L’Humanité.

(2 novembre 2009)

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