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                 La
  grande crise financière – trois années déjà et ça continue John Bellamy
  Foster et Fred Magdoff * La grande crise
  financière a débuté durant l’été 2007 et trois après, en
  dépit d’une «guérison» présumée, elle produit encore de
  profonds effets aux Etats-Unis, en Europe et dans la majeure partie
  du monde [1].  Dans beaucoup de pays
  l’austérité est en train d’être imposée au monde du travail.
  C’est le cas particulièrement difficile de la Grèce, un pays
  contraint par les exigences des banquiers, y compris le Fonds
  Monétaire International, à pressurer ses salarié·e·s en échange
  de prêts de l’étranger afin de venir en aide au gouvernement pour
  rembourser ses dettes.  Le taux officiel de
  chômage aux Etats-Unis se situe encore autour de 10%, et le
  taux réel est bien plus élevé. Phénomène sans précédent: 44%
  des chômeurs sont sans travail depuis plus de 6 mois. Un nombre
  record de gens reçoivent des tickets d’aide alimentaire de même
  que des repas ou de la nourriture d’organismes caritatifs. Beaucoup
  d’Etats américains et de villes sont confrontés à des coupes
  dans leurs budgets à la suite des baisses de rentrées d’impôts;
  ils suppriment des emplois et réduisent les dépenses d’éducation
  et les programmes sociaux.  Dans la recherche des
  causes de la crise, l’attention a surtout porté sur le rôle des
  prêts hypothécaires «subprime» aux Etats-Unis, prêts qui étaient
  vendus à des gens détenteurs de faibles revenus et qui n’avaient
  presque aucune chance d’être en mesure de les rembourser. Beaucoup
  de ces prêts «subprime» accordés, l’avaient été assortis de
  clauses prédatrices particulièrement défavorables aux emprunteurs
  sans méfiance. Ces prêts étaient regroupés en paquets destinés à
  être vendus à des institutions dans le monde entier, ce qui servit
  à diffuser des risques importants tous azimuts. [2]  Jusqu'à présent, en dépit de l’instabilité générée par les prêts en question, et par toute une foule d’instruments financiers exotiques qui leur étaient associés, la gravité même de la Grande Crise Financière suggère qu’au départ elle n'était pas le produit de telles pratiques spéculatives. Elle découlait plutôt pour l'essentiel de facteurs structurels de long terme qui se traduisaient dans le déclin séculaire du taux de croissance économique, ainsi que dans l’augmentation continue de la fragilité et de l’instabilité financière.  Les taux de
  croissance des pays riches situés au coeur du système capitaliste
  mondial ont décliné à petite vitesse depuis des décennies. Aux
  USA, la croissance moyenne du PIB, corrigée de l’inflation, est
  passée de 4,4% dans les années 60 à 3,3% dans les années 70, à
  3,1% dans les années 80 et 90 et enfin à 1,9% dans les années 2000
  (de 2000 à 2009).  En réponse à ces
  conditions d’approfondissement de la stagnation économique à
  l’intérieur de l’économie «réelle» [3], les excédents
  de capitaux engrangés par les agents économiques, affluaient vers
  le secteur financier, cherchant des rémunérations rapides. Cela a
  conduit à la création d’une superstructure financière
  considérable au sommet d’une base économique affaiblie. Ce
  recours à la finance spéculative, en tant que stratégie permanente
  d’enrichissement, donna lieu à l’essor d’énormes profits
  artificiels (et de gains en capital) apparemment au-delà de toute
  mesure – c'est-à-dire sans relation avec l’économie «réelle».  Dans cette situation,
  une accumulation de plus en plus grande de dettes – celles des
  ménages, des entreprises et du gouvernement – s’est avérée
  nécessaire pour assurer un niveau donné de croissance. Au même
  moment le gonflement de la dette totale prendra de plus en plus le
  caractère d’une pyramide de Ponzi, ce qui va requérir de
  constantes adjonctions de liquidités pour différer l’écroulement
  final inévitable. [4] Le résultat fut une véritable explosion
  de dettes pour un total astronomique de 350% du PIB des Etats-Unis en
  2007.  Les bulles
  financières sont invariablement les symptômes de problèmes
  sous-jacents plus profonds. Le fait de simplement se focaliser sur
  les prêts subprime ou même sur la bulle immobilière elle-même,
  comme cause véritable de la crise – ainsi que ce fut le cas pour
  la plupart des commentateurs appartenant à l’orthodoxie économique
  –, consiste à prendre le symptôme pour la maladie. Si cela ne
  s’était pas produit avec la bulle immobilière aux Etats-Unis,
  cela aurait pu avoir lieu avec une autre bulle qui aurait mené
  essentiellement aux mêmes résultats. Depuis les années 70,
  l’économie a connu de plus en plus de crises du crédit, avec à
  chaque fois, les banques centrales se précipitant au premier signe
  de difficulté pour sauver les institutions financières en défaut.
  Cela a pourtant contribué à accroître la fragilité financière,
  tandis que le problème sous-jacent de la stagnation était laissé
  de côté.  Depuis le
  commencement de la Grande Crise Financière il y a trois ans, les
  choses ont tellement empiré qu’un Paul Krugman, lauréat du prix
  Nobel de Sciences Economiques décerné par la Banque de Suède, a
  déclaré que nous étions maintenant dans (ou en train d’entrer)
  dans une Troisième Dépression, c'est-à-dire, une troisième
  période de stagnation économique.  Il suggère que cette
  Troisième Dépression ressemble à la fois à la stagnation qui
  commença en Europe et aux Etats-Unis dans les années 1870 – il la
  nomme Longue Dépression - et la stagnation des années 1930 qu’il
  nomme Grande Dépression. Ainsi Krugman écrit: «Je
    crains que nous soyons maintenant dans les premières étapes d’une
    troisième dépression. Elle ressemblera vraisemblablement plus à la
    Longue Dépression qu’à la beaucoup plus sévère Grande
    Dépression. Mais le coût – pour l’économie mondiale, et
    surtout pour les millions d’existences frappées par l’absence
    d’emplois – sera pourtant immense». Krugman
  soutient que «cette
    troisième dépression sera avant tout le résultat d’un échec
    politique»:
  c'est-à-dire la poursuite, même assortie d’une importante
  modération de la politique néolibérale d’austérité, visant à
  effacer les déficits gouvernementaux, en lieu et place de l’adoption
  d’une politique keynesienne de forte stimulation de l’économie
  comme moyen de sortir de la crise. [5]  Il est vrai qu’une
  mauvaise politique économique néolibérale, axée sur la lutte
  contre les déficits pendant la crise, hypothéquera les perspectives
  économiques. Mais la stimulation keynesienne n’est pas non plus
  une véritable solution. Nous soutenons pour notre part, que le
  véritable problème ne relève pas de la politique économique mais
  du développement du capitalisme lui-même.  Notre thèse,
  exprimée de la façon la plus ramassée possible, est que les
  économies capitalistes avancées sont prises dans une tendance à la
  stagnation résultant d’un double processus de maturité
  industrielle et d’accumulation de type monopoliste. La
  financiarisation (le déplacement du centre de gravité de l’économie
  capitaliste de la production vers la finance) doit être considérée
  comme un mécanisme compensatoire qui, dans ces circonstances, a aidé
  au maintien le système économique mais au prix d’une plus grande
  fragilité. Le capitalisme est ainsi pris dans ce que nous appelons
  une «trappe de stagnation-financiarisation».  Tout ceci est en
  relation étroite avec la structure monopoliste du capital financier,
  laquelle a provoqué des inégalités sans précédent dans le monde
  capitaliste avancé. Ce que l’on nomme le «Forbes 400» [étude
  publiée par le magazine Forbes],
  les 400 familles étatsuniennes les plus riches, possèdent autant de
  richesse que la moitié la moins fortunée de la population totale,
  c'est-à-dire 150 millions de personnes.  Quelques analystes de
  Citigroup [6] ont soutenu récemment que le sommet de la
  pyramide de la richesse sociale pèse à l’heure actuelle d’un
  tel poids aux Etats-Unis et dans les autres économies riches, en
  termes de richesses et de distribution de revenus, qu’il convient
  de les nommer «ploutonomies» où de petites fractions de classes
  étendent leur contrôle sur une grande partie de la richesse
  sociale. [7]  Il est certain que
  les «économies émergentes», et notamment la Chine et l’Inde,
  n’ont pas encore acquis les maladies de la maturité et de la
  monopolisation à l’instar des pays capitalistes avancés et
  échappent ainsi aux maladies chroniques qui ont paralysé les pays
  du centre du système. Mais les pays émergents sont loin d’être
  protégés de la venue de ces problèmes.  En effet, on a toute
  raison de croire qu’eux aussi vont connaître de bien des façons
  les effets de la globalisation contemporaine comme conséquence de
  l’affaiblissement du noyau central du système. Il faut noter que
  la Longue Dépression fut suivie par une grande vague d’expansion
  impérialiste qui devait mener à la Première Guerre Mondiale,
  tandis que la Grande Dépression amena le conflit interimpérialiste
  de la Seconde Guerre Mondiale. L’actuelle Troisième Dépression
  est déjà comme un mauvais augure, en train de déboucher en un
  conflit impérialiste particulièrement centré sur le Golfe
  Persique, ce qui pourrait mener à des conséquences désastreuses
  pour l’humanité dans son ensemble.  Comme si tout cela
  n’était pas suffisant, le monde est de nos jours confronté à un
  péril encore plus sérieux: une accélération rapide de la crise
  écologique planétaire: si des changements radicaux ne sont pas
  entrepris dans la prochaine décade ou la suivante, c’est la menace
  d’un effondrement éventuel de la plus grande partie des
  écosystèmes mondiaux pris ensemble avec la civilisation humaine
  elle-même. Il n’y a qu’une solution possible à cette crise planétaire englobante: c’est l’euthanasie du capitalisme [allusion à la formule de Keynes dans le dernier chapitre de sa Théorie générale sur l'euthanasie des rentiers], en le remplaçant par une nouvelle économie orientée vers un développement humain durable, un épanouissement écologique et la mise en valeur d'une véritable communauté humaine. Plus tôt nous commencerons à construire ce système qualitativement nouveau à travers nos luttes de masses, mieux ce sera pour le destin à long terme de l’Humanité et de la Terre.  (Ecrit à Eugene,
  Oregon; 
  Burlington, Vermont
  le 30 juin 2010) * Cet article a
  été traduit par Jean Pierre Juy.  1. Ce texte est l’introduction à la traduction en grec de leur ouvrage The Great Financial Crisis, ouvrage paru en anglais au début 2009. L’article est paru dans le numéro d’octobre 2010 (VOL 62, N°5) de la revue socialiste indépendante Monthly Review, une revue que les lectrices et lecteurs de La brèche connaissent. .  2. Pour faciliter la
  titrisation (vente sur le marché financier), jusqu’à plusieurs
  milliers de titres de crédit sont consolidés sous la forme d’une
  obligation unique. 
  3. Les auteurs
  distinguent l’économie «réelle» qui concerne la circulation des
  biens et des services: les richesses, de l’économie «monétaire»
  ou financière qui concerne la circulation de créances et de
  dettes.
  4. Méthode utilisée
  par un dénommé Ponzi aux USA, pour «garantir» un taux de
  rémunération élevé de l’argent qui lui était confié, en
  élargissement à chaque étape (pyramide), le nombre de nouveaux
  souscripteurs dont l’apport d’argent servait en fait à rémunérer
  les précédents… Madoff pratiquait de même, jusqu’à ce que… !)  5. Paul Krugman, «The
  Third Depression», New
  York Times,
  28 juin 2010
  6. Citigroup est un
  des plus grands groupes bancaires états-uniens  7. Forbes,
  «The richest people in America» 2009 et Citigroup Research
  «Plutonomy Report» Oct. 2005 (11 novembre 2010) Haut de pageRetour
 
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