Etats-Unis

 

Perry Anderson et Francis Fukuyama

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«L'Amérique à la croisée des chemins»  de F. Fukuyama et la quadrature du cercle de la philanthropie et de l’empire

Perry Anderson *

Y compris la SonntagsZeitung du 23 avril 2006 consacre deux pages d'entretien avec Francis Fukuyama à propos de son nouveau livreThe America at the Crossroads (février 2006).

L'opération publicitaire est certainement bien menée, par lui et son éditeur, Yale University Press. Mais, ce branle-bas n'existerait pas si l'administration Bush ne rencontrait pas des difficultés d'ampleur en Irak. Fukuyama, selon la «grande presse américaine» - New-York Times, par exemple – rompt avec le «camp des néo-conservateurs». Des généraux critiquent aussi ouvertement Rumsfeld et font la une de la presse des Etats-Unis, et donc européenne. En arrière-fond toujours l'Irak.

On ne peut certes pas expliquer la politique impérialiste des Etats-Unis, y compris sous l'administration de W. Bush, par le rôle d'un cercle néo-conservateur, idéologiquement fort influent. Plusieurs historiens américains ont, pour différentes phases de l'histoire de l'impérialisme américain, analysé le rôle de ces «mandarins du futur», ceux qui entérinent et projettent, à la fois, les entreprises des diverses administrations, républicaines ou démocrates.

Une fois cela dit, il est toutefois utile et intéressant d'analyser le contenu des «théorisations» de ces mandarins. C'est ce que fait ici Perry Anderson en démontant, pas à pas, l'argumentation d'un Fukuyama, néo-recyclé. réd.

La guerre en Irak dure déjà depuis trois ans et aucune fin n’est en vue. L’examen de conscience a commencé à Washington dans le milieu des spécialistes de la politique étrangère. A propos de l’invasion les réflexions a posteriori remplissent déjà toute une bibliothèque. Mais peu d’entre elles ont reçu  autant d’attention des médias que le dernier livre de Francis Fukuyama, America at the Crossroads (L’Amérique à la croisée des chemins). Une des raisons en est bien sûr la célébrité de l’auteur de La Fin de l’Histoire et le dernier homme. Une autre, sans doute plus immédiate celle-là, c’est le frisson [en français dans le texte d’une illustre défection des rangs du néo-conservatisme. Considérer L’Amérique à la croisée des chemins seulement comme un signe des temps, bien que ce livre soit évidemment aussi cela, serait sous-estimer son intérêt intellectuel qui réside essentiellement dans sa relation à ce livre fameux qui fit la réputation de Fukuyama.

L’argument de L’Amérique à la croisée des chemins se développe en trois parties. Dans la première, l’auteur retrace les origines du néo-conservatisme contemporain. Son récit débute avec une cohorte d’intellectuels new-yorkais, la plupart juifs, qui avaient été socialistes dans leur jeunesse, mais s’étaient ralliés à la bannière étoilée pendant la Guerre froide et étaient restés inflexiblement hostiles à la Nouvelle gauche quand les Etats-Unis combattaient le communisme au Vietnam.

Comme il se doit, leur milieu allait aussi produire un programme social: la critique du libéralisme de l’Etat providence [aux Etats-Unis libéralisme et libéral, opposés à conservatisme et conservateur, désignent la gauche opposée à la droite, dans un système politique structuré autour de deux partis bourgeois] qui sera développée dans la revue The Public Interest que publiaient Irving Kristol et Daniel Bell.

Simultanément Leo Strauss [1], qui enseignait à Chicago, dotait de profondeur philosophique la réaction morale contre le laxisme des années soixante. Son élève Alan Bloom en fit une mode culturelle. Le spécialiste des questions de stratégie nucléaire Albert Wohlstetter, théoricien de la force de missiles «bouclier anti-missiles» et prophète de la guerre électronique, apportait au groupe sa connaissance des choses militaires et son expertise technique.

Francis Fukuyama raconte comment, d’une manière ou d’une autre, il a été personnellement impliqué dans tout cela. Le récit qu’il en fait est si calme et si équilibré qu’il en vient presque à atténuer la puissance du cocktail politique que cela représentait. Il souligne plutôt comment leur néo-conservatisme en est venu à confluer au sein du Parti républicain avec d’autres courants du conservatisme, plus larges et plus populaires ceux-là, sur des thèmes tels que la croyance en un Etat réduit à l’essentiel, la piété religieuse, le nationalisme. Ainsi réunis, ils seront le torrent politique qui va propulser l’ascension de la présidence de Ronald Reagan.

Mais selon Fukuyama, c’est le principal triomphe de l’ascendant conservateur, la victoire dans la Guerre froide, qui contenait en germe ce qui fera la perte du néo-conservatisme. La chute de l’Union soviétique allait engendrer un excès de confiance dans la capacité des Etats-Unis à refaçonner le monde entier. En exagérant la part de la pression économique et militaire exercée par les Etats-Unis dans l’effondrement soudain de l’URSS, alors qu’en réalité celle-ci dépérissait du dedans, une nouvelle génération de penseurs néo-conservateurs plus jeunes en sont venus à croire qu’il serait possible, ailleurs, d’abattre la tyrannie et de planter l’arbre de la liberté avec une vitesse comparable.

Fukuyama vise particulièrement William Kristol [voir note 1] et Robert Kagan [2]. Pour Fukuyama, c’est cette illusion qui a conduit à l’attaque contre l’Irak. En ignorant non seulement le paysage assez différent du Proche-Orient mais aussi les avertissements des néo-conservateurs originels contre des projets trop volontaristes d’ingénierie sociale, les concepteurs de l’invasion [de l'Irak] ont accablé les Etats-Unis d’un désastre dont ils mettront des années à se remettre. En recourant sans nécessité à la force unilatérale, les Etats-Unis se sont isolés de l’opinion mondiale, et par-dessus tout de leurs alliés européens, en affaiblissant leur position dans le monde au lieu de la renforcer.

Fukuyama consacre la troisième partie de son livre à esquisser une politique étrangère alternative qui puisse rendre aux Etats-Unis leur place légitime dans le monde. Un «Wilsonisme réaliste» [par référence au président Thomas Woodrow Wilson, démocrate, 1912-1919] qui tempérerait le meilleur des convictions néo-conservatrices d’une meilleure connaissance du caractère irréductible des autres cultures et des limites de la puissance des Etats-Unis et maintiendrait la nécessité de la guerre préventive comme dernier recours ainsi que la promotion de la démocratie dans le monde comme un objectif permanent. Mais il consulterait les alliés, aurait recours plus souvent à la force douce qu’à la force violente, s’engagerait dans la construction d’Etats à la lumière des sciences sociales et encouragerait l’extension de nouvelles formes diverses de multilatéralisme pour contourner les blocages des Nations Unies (ONU). 

«La manière la plus importante par laquelle la puissance des Etats-Unis peut s’exercer» conclut Fukuyama, «n’est pas au moyen de la force militaire mais par le moyen de la capacité des Etats-Unis à façonner des institutions internationales.» Car ce qu’elles peuvent faire, c’est «diminuer les coûts de transaction à payer pour gagner le consentement» aux actions des Etats-Unis. 

Dans la structure en trois parties du livre de Fukuyama  – histoire interne du néo-conservatisme ; critique de la façon qu’il a déraillé en Irak ; propositions pour une nouvelle version corrigée – la clé de voûte de l’argument réside dans la deuxième partie. La description que fait Fukuyama du milieu auquel il a appartenu, et du rôle qu’il a joué dans la course à la guerre, est pondérée et informative. Mais c’est une vision de l’intérieur qui implique une illusion d’optique révélatrice. Tout semble se passer comme si les néo-conservateurs étaient la force motrice décisive qui a poussé à la marche sur Bagdad et que c’est donc leurs idées qu’il faut guérir pour remettre les Etats-Unis sur le bon rail.

En réalité, le front de l’opinion qui pressait en faveur de l’invasion de l’Irak était bien plus large qu’une seule fraction du Parti républicain. On y comptait bien des libéraux et des Démocrates. Le dossier le plus détaillé plaidant en faveur de l’attaque contre Saddam Hussein a été établi par Kenneth Pollack, un fonctionnaire de l’administration Clinton. Qui plus est, ce qui reste, et de loin, la théorisation la plus exhaustive d’un programme d’intervention militaire des Etats-Unis pour détruire des régimes voyous et imposer les droits humains partout dans le monde, est l’oeuvre de Philip Bobbitt, le neveu de Lyndon Johnson. Il fut lui aussi une vedette, mais de plus haut rang, de l’appareil de sécurité nationale de l’administration Clinton. A côté des 900 pages de son magnum opus, The Shield of Achilles (Le bouclier d’Achilles), un livre d’une vaste ambition historique qui se conclut par toute une série de scénarios dramatiques de guerres futures auxquelles les Etats-Unis doivent se préparer, les éditorialiste de l’hebdomadaire The Weekly Standard sont peu de chose.

Aucun néo-conservateur n’a produit quoi que ce soit d’approchant. Du côté libéral du spectre politique de Washington, ne manquaient pas non plus les hérauts de moindre calibre pour vociférer en faveur d’une expédition au Moyen-Orient, les Ignatieffs et Bermanns, pour ne citer qu’eux. Rien d’illogique à cela.

La guerre des Démocrates dans les Balkans, qui congédiait la souveraineté nationale comme un anachronisme, fut la condition immédiate et le terrain d’exercice de la guerre des Républicains en Mésopotamie. Le génocide au Kosovo n’aura été qu’un peu moins exagéré que les armes de destruction massive en Irak. Les opérations de ce que Fukuyama se permet à un seul endroit en un rare lapsus d’appeler «l’empire outremer des Etats-Unis» ont historiquement toujours réuni les deux partis, et cela continue d’être ainsi.

Du côté républicain, en outre, les intellectuels néo-conservateurs n’étaient qu’un des éléments de la constellation qui a propulsé l’administration Bush Jr en Irak et pas le plus significatif. Dans l’étude de James Mann [The Rise of the Vulcans: The History of Bush's War Cabinet, 2004] sur qui a tracé le chemin qui conduisait à la guerre, étude qui fait autorité, des six «Vulcains» qu’il énumère, seul Paul Wolfowitz, un ancien démocrate, figure dans la rétrospective que fait Fukuyama. Aucune des trois principaux personnages qui ont conçu et justifié l’invasion de l’Irak, Ronald Rumsfeld, Dick Cheney et Condoleeza Rice, n’avait d’attachement particulier aux néo-conservateurs. Fukuyama en est conscient mais n’en offre aucune explication. Il se contente de remarquer qu' «à ce jour nous ne savons pas quelles étaient les origines de leurs idées.»

Quel était donc l place qu'il occupait, lui, Fukuyama, dans la galaxie qu’il décrit? Là tout à coup, il arrange son récit avec du flou, alors que, il faut le reconnaître, cela ne le caractérise pas habituellement,. Prenant l’air de rien pour égarer le lecteur, il écrit que partant «plutôt faucon au sujet de l’Irak» quand aucune invasion n’était encore envisagée, il s’y opposa quand elle fut déclenchée plus tard.

Sa mémoire lui joue un tour. En juin 1997, Fukuyama était parmi les fondateurs, aux côtés de Ronald Rumsfeld, Dick Cheney, Dan Quayle, Paul Wolfowitz, Scooter Libby, Zalmay Khalilzad, Norman Podhoretz, Elliott Abrams et Jeb Bush, du Project for the New American Century (Projet pour le Nouveau Siècle Américain - PNAC), dont le manifeste appelait à «une politique reagannienne de force militaire et clarté morale» pour «promouvoir à l’étranger la cause de la liberté politique et économique.»  En janvier 1998, il était un des dix-huit signataires d’une lettre ouverte du PNAC au Président Clinton insistant sur la nécessité «d’être disposé à recourir à l’action militaire» afin «d’écarter du pouvoir le régime de Saddam Hussein» et déclarant que «les Etats-Unis sont habilités par les résolutions des Nations-Unies à prendre les mesures nécessaires» à cet effet. Quatre mois plus tard, il était parmi ceux qui dénonçaient l’absence d’une telle action comme «une capitulation devant Saddam» et «un coup incalculable porté au leadership et à la crédibilité des Etats-Unis» et détaillant exactement quelles mesures contre le régime du Baath s’imposaient: «Nous devrions aider à établir et soutenir (par des moyens économiques, politiques et militaires) un gouvernement provisoire, représentatif et libre» dans «des zones libérées du Nord et du Sud de l’Irak» sous la protection de «la force militaire des Etats-Unis et de leurs alliés.» En d’autres termes: une invasion pour établir un gouvernement Chalabi à Bassora ou à Najaf afin de faire tomber Saddam à partir de là.

Sous George W. Bush à la Maison Blanche, le Projet désormais rejoint par des poids lourds comme le vétéran démocrate Stephen Solarz et Marshall Wittman qui siège au Democratic Leadership Council, repartait à l’assaut, avec Fukuyama en première ligne, pour exiger l’attaque contre l’Irak. Le 20 septembre 2001, guère plus d’une semaine après le 11 septembre, il apposait sa signature à une exigence de guerre de but en blanc qui n’accordait aucune pertinence à d’éventuels liens avec Al Qaeda et ne prenait même pas la peine d’évoquer le spectre des armes de destruction massive:

 «Il est possible que le gouvernement irakien a fourni d’une certaine manière une assistance à la récente attaque contre les Etats-Unis. Mais même si aucune donnée ne relie directement l’Irak à l’attaque, toute stratégie qui a pour but l’éradication du terrorisme et de ses sponsors doit inclure un effort déterminé pour écarter Saddam Hussein du pouvoir en Irak. Echouer à entreprendre un tel effort constituerait une capitulation précoce et peut-être décisive dans la guerre contre le terrorisme international. Les Etats-Unis doivent donc apporter un plein soutien militaire et financier à l’opposition irakienne. La force militaire des Etats-Unis devrait donc être employée à créer une «zone sûre» en Irak à partir de laquelle cette opposition puisse opérer. Et les forces des Etats-Unis doivent donc être préparées à appuyer notre engagement envers l’opposition irakienne par tous les moyens nécessaires.»

Pour faire bonne mesure, les signataires ajoutaient que «toute guerre contre le terrorisme doit viser le Hezbollah» [au sud Liban] et préparer «les mesures de représailles appropriées» contre la Syrie et l’Iran qui en sont les parrains.

Rappeler cette campagne pour le feu et le sang au Moyen-Orient n’est pas isoler Fukuyama pour l’incriminer spécialement. Après tout, c’est le Congrès tout entier qui allait donner le feu vert à la guerre contre l’Irak avec une unanimité des deux partis presque complète. Mais si l’implication de Fukuyama dans la marche sur Bagdad a été plus profonde que ce qu’il voudrait nous faire croire aujourd’hui, cela soulève une question importante. Pourquoi s’il était à l’origine si engagé dans l’aventure en Irak, allait-il à ce propos rompre plus tard si brusquement avec ses anciens alliés intellectuels ?

Bien sûr, les désastres de l’occupation en sont la raison la plus évidente: toutes sortes de créatures, grandes et petites, quittent le navire qui chavire toujours plus profondément dans l’eau. Mais cela ne peut pas être la principale raison du changement d’opinion de Fukuyama. Il dit qu’il avait déjà perdu la foi en une invasion avant que la guerre ne commence et il n’y a pas de raison de ne pas le croire.

En outre, tellement de conservateurs  ont été déçus par le manque de succès pratiques d’une entreprise considérée en principe souhaitable sans que cela ne les conduise à la sorte de critique historique et de rupture dans laquelle Fukuyama s’est embarqué. Il aurait été tout à fait possible de dire que l'Opération Liberté pour l’Irak avait mal tourné, et même qu’elle se révélait rétrospectivement avoir été une erreur depuis le début sans se mettre à écrire pour autant un éloge funèbre du néo-conservatisme. Qu’est-ce qui a mis soudainement une telle distance entre Fukuyama et ses confrères ?

On peut déduire deux facteurs de divergences de son nouveau livre et de l’article qui l’a précédé dans la revue The National Interest, article intitulé «Le Moment néo-conservateur». Fukuyama ne partageait pas le même degré de fidélité à Israël que ses collègues juifs. Dans cet article, il ne déplorait pas une véritable subordination des objectifs des Etats-Unis aux objectifs israéliens au Moyen-Orient , mais plutôt chez trop de ses collègues un mimétisme du regard israélien sur le monde arabe. Il faisait remarquer qu’appliquer une main de fer à la région pouvait être rationnel pour Tel Aviv, mais pas nécessairement pour Washington. Bien que sa critique soit formulée avec beaucoup de tact, elle n’en suscita pas moins une réaction véhémente. Charles Krauthammer [éditorialiste, entre autres, auprès du Weekly Sandard] accusa Fukuyama d’inventer «une nouvelle manière de judaïser le néo-conservatisme», une accusation moins grossière que les calomnies de Pat Buchanan [une des figures du conservatisme américain profond, dirige le magazine The American Cause] et Mahathir Mohamad [dirigeant de la Malaysie], mais tout aussi ridicule. Cela conduisit, en retour, Fukuyama à protester contre des imputations d’antisémitisme. S’étant manifestement brûlé les doigts dans cette polémique et très  conscient combien cette question est délicate, Fukuyama n’y revient pas dans son dernier livre. Il se contente d’y expliquer que la mentalité qu’il avait critiquée «quoique vraie pour certaines personnes, ne peut pas être reprochée aux néo-conservateurs en général.» Pour le reste il offre la branche d’olivier d’un soutien à la politique palestinienne de l’administration Bush. Mais derrière la politesse, on peut douter que ses réserves se soient évaporées.

C’est cependant une autre considération qui a certainement été plus importante. Fukuyama explique que c’est un voyage en Europe, durant l’été 2003, qui lui a ouvert les yeux sur la consternation suscitée par l’unilatéralisme de la présidence Bush chez beaucoup des plus fidèles admirateurs des Etats-Unis. Il a été dégrisé par la déception exprimée par ce pilier de l’atlantisme qu’est le rédacteur en chef du Financial Times. Une politique étrangère qui rebute autant nos plus proches alliés peut-elle vraiment en valoir la peine? Mis à part la rectification initiale, Israël figure à peine dans son nouveau livre, mais l’Europe, elle, y occupe une très grande place. Fukuyama est très alarmiste quant aux réactions européennes face à l’administration Bush. Il est persuadé que la déchirure causée par la guerre en Irak n’est pas qu’une querelle passagère. C’est un «mouvement tectonique» au sein de l’alliance occidentale. Avec des millions de manifestants dans les rues, «l’Europe n’avait jamais auparavant paru si spontanément unie autour d’une seule question comme celle-là, ce pourquoi l’ancien ministre des finances français Dominique Strauss-Kahn avait baptisé les manifestations la "naissance de la Nation européenne"». L’antiaméricanisme fait des ravages de l’autre côté de l’Atlantique et met l’unité de l’Occident en danger.

Bien que cette sorte de craintes soit aujourd’hui très répandue, elles ont peu de rapport avec la réalité. L’hostilité de l’Europe à la guerre est large mais peu profonde. L’invasion a suscité beaucoup d’opposition, mais une fois consommée, elle n’a plus suscité de nouvelles protestations. Les manifestations contre l’occupation de l’Irak ont été peu nombreuses et fort espacées dans le temps. C’est absolument différent de la vague mondiale de protestations que suscitait la guerre du Vietnam. Les électeurs du gouvernement britannique [de T. Blair] ne l’ont pas sanctionné pour sa participation à la guerre des Etats-Unis. Le gouvernement allemand qui s’était opposé à l’invasion fournit bientôt de l’aide en cachette en procurant des informations sur des cibles à Bagdad et une assistance aux emprisonnements par la CIA.

Fukuyama reproche au gouvernement français d’avoir dupé les Etats-Unis au Conseil de sécurité alors qu’en fait, il a fait signe à la Maison Blanche qu’elle pouvait y aller sans nécessité d’une nouvelle résolution. Depuis, il a collaboré étroitement avec Washington pour installer des régimes «convenables» à Haïti et au Liban. Tous sont unis contre l’Iran. L’Europe est hostile à l’administration Bush plus parce qu’elle se sent offensée que par véritable indignation. Ce qui a choqué, c’est l’indifférence aux bonnes manières diplomatiques, l’hommage insuffisant du vice acceptable à la vertu ostensible. Tant les élites que les masses sont attachées aux voiles qui ont traditionnellement drapé l’acquiescement européen à la volonté des Etats-Unis. Elles en veulent à un gouvernement qui les a mis de côté. Des doléances de cette sorte sont plus une question de style que de substance et passeront avec un retour aux convenances. Une restauration Clinton verrait sans doute une prompte et enthousiaste réconciliation du Vieux Monde avec le Nouveau.

Là dessus, Charles Krauthammer a vu plus juste en balayant du revers de la main cette inquiétude que la politique étrangère des Etats-Unis serait en danger parce qu’elle aurait perdu une légitimité internationale. Krauthammer a fait remarquer très justement que ce qui la menace, ce n’est pas un manque de certificats de l’UE et de résolutions de l’ONU, elle a même beaucoup de tampons de cette sorte, mais bel et bien l’insurrection irakienne. C’est la force de volonté de la résistance qui menace la doctrine Bush. Tout le reste n’est que le clapotis des petites vagues connexes. Sans le maquis, l’opinion européenne ne serait pas plus troublée par la conquête de l’Irak qu’elle ne l’avait été par l’invasion de Panama.

La méprise de Fukuyama quant aux sentiments européens est aujourd’hui si répandue qu’elle en est devenue banale. Par contre, son analyse du fondamentalisme islamique est originale et rafraîchissante, car elle rompt tant avec celle de son propre milieu qu’avec les idées reçues dominantes. Comparés avec les grands antagonistes historiques de la démocratie capitaliste, le fascisme et le communisme, Al Qaeda et ses affiliés sont une force minuscule. A moins de réussir d’une manière ou d’une autre à mettre la main sur des armes de destruction massive, ils n’ont aucune chance d’infliger un dommage sérieux à la société des Etats-Unis, encore moins de menacer globalement la civilisation libérale.

Décréter une «guerre contre le terrorisme» généralisée, c’est vainement gonfler les opérations ponctuelles nécessaires pour extirper la poignée de fanatiques qui rêvent d’un nouveau Califat. Paniquer à propos de cette menace relativement mineure fait courir le risque d’erreurs de calcul graves. Cela devrait être évité surtout par les Etats-Unis qui depuis le 11 septembre risquent de nouvelles attaques dans une mesure moindre que les Européens qui, eux, ont de plus grandes concentrations d’immigrés musulmans. 

Que voilà une tardive lucidité après avoir tellement crié au loup dans des lettres ouvertes! Et pourtant cette lucidité est plus dans le ton habituel des écrits de Fukuyama, généralement calme et imperturbable. Cela nous ramène à la logique d’ensemble de son oeuvre majeure. L’argument fameux de La fin de l’histoire et le dernier homme était qu’avec la fin du communisme, après celle du fascisme, on ne pouvait plus imaginer d’amélioration par rapport au capitalisme libéral en tant que forme de société.

Le monde restait plein de conflits, qui continueraient de provoquer des événements inattendus, mais qui ne modifieraient pas ce verdict. Certes rien ne garantissait un parcours rapide de l’humanité dans chaque recoin de la Terre vers la destination d’une démocratie prospère et pacifique basée sur la propriété privée, le libre marché et des élections régulières, mais ces institutions constituaient le terminus du développement historique. Une telle clôture désormais discernable de l’évolution sociale ne pouvait pas tout à fait être considérée une bénédiction. Car avec elle viendrait inévitablement une baisse de la tension idéale, peut-être même un certain ennui de vivre (tedium vitae). On pouvait prévoir déjà une nostalgie de temps plus hasardeux et héroïques.

Comme Fukuyama l’expliquait, la base philosophique de cette construction provenait d’une nouvelle élaboration de la dialectique hégélienne de la reconnaissance par un philosophe russe exilé en France, Alexandre Kojève [3], pour qui les siècles de luttes entre les maîtres et les esclaves, les classes sociales, étaient sur le point d’aboutir à une condition définitive d’égalité, un «état universel et homogène» qui ferait s’arrêter l’histoire: Kojève identifia cette idée avec le socialisme, plus tard avec le capitalisme, mais toujours avec une ironie impénétrable qui lui était propre.

Fukuyama reprenait cette structure narrative tout en l’enracinant dans une ontologie de la nature humaine tout à fait étrangère à Kojève, qu’il empruntait à Platon de par sa formation auprès de Leo Strauss à qui il doit aussi un point de vue beaucoup plus conservateur. Kojève et Strauss s’étaient appréciés mutuellement comme interlocuteurs, partageant de nombreuses références intellectuelles, tout en étant en politique comme en métaphysique très éloignés l’un de l’autre. Strauss étant un penseur de droite inflexible, il n’avait que faire de Hegel, et de Marx encore moins. A ses yeux, ce que Kojève déduisait de leurs conceptions de la liberté et de l’égalité ne pouvait que présager une tyrannie planétaire niveleuse. Strauss, lui, croyait en des régimes particuliers et une hiérarchie naturelle.

Par conséquent, il y a toujours eu chez Fukuyama une tension dans la synthèse qu’il faisait des deux sources de sa pensée. Dans les dernières années de la Guerre froide, quand il  commençait à donner forme à sa combinaison des deux, cette tension pouvait rester cachée parce que les intérêts universels du capitalisme démocratique étaient garantis d’une manière consensuelle et sans trop de déchirements par une Pax Americana. Il n’y avait pas de contradiction significative entre le monde libre et l’hégémonie des Etats-Unis.

Mais une fois le Communisme éradiqué en Russie et neutralisé en Chine, une nouvelle situation apparaissait. Il n’y avait plus d’ennemi commun pour obliger d’autres Etats capitalistes à accepter d’une manière disciplinée l’autorité des Etats-Unis. Toutefois, en même temps, la disparition de l’URSS accroissait énormément la portée de la puissance de Washington. Par conséquent, juste au moment où l’hegemon devenait objectivement moins indispensable au système dans son ensemble, il ne pouvait pas manquer de devenir subjectivement plus ambitieux que jamais, se trouvant désormais dans la position de la seule superpuissance mondiale.

Dans ces conditions, il était inévitable que les besoins généraux du système divergeraient tôt ou tard des comportements de l’Etat-nation singulier qui est à sa tête. Voilà le contexte dans lequel L’Amérique à la croisée des chemins doit être compris. Car c’est sur la ligne de faille entre les deux que se produit la rupture de Fukuyama avec le néo-conservatisme. Au milieu du livre, il développe en détail une attaque contre «l’exceptionnalisme» des Etats-Unis qu’il décrit comme la doctrine qui veut que «les Etats-Unis sont différents des autres pays et qu’on peut avoir confiance qu’ils utiliseront leur puissance militaire avec une justice et une sagesse  dont les autres puissances sont incapables.» C’est cette illusion proclamée par Kristol et Kagan qui a, selon lui, suscité l’hostilité des alliés et conduit aux erreurs présomptueuses de la guerre en Irak.

Politiquement, l’engagement de Fukuyama s’est développé dans la matrice straussienne. Mais intellectuellement, la marque de Kojève est plus profonde et lui fournit sa trame narrative. Forcé par les changements du panorama stratégique de choisir entre les deux logiques, Fukuyama a laissé sa tête prévaloir sur son cœur. S’il a pris congé des néo-conservateurs, c’est parce que la guerre en Irak a mis à jour la différence généalogique entre eux et lui. Dans leur origine, ses idées étaient européennes comme les leurs ne l’ont jamais été. En effet, Kojève considérait la création d’une Europe supranationale comme la raison décisive pourquoi, contrairement à ses attentes, c’était un capitalisme globalisateur qui se révélait être la destination commune de l’humanité plutôt qu’un socialisme encore cramponné à la nation. Pour Strauss, au contraire, dont les premières allégeances étaient allées au sionisme, les régimes étaient par nature particuliers: il était imperméable à des schémas universels. Bien qu’il ne fût pas un grand admirateur de la société des Etats-Unis, il respectait les Pères fondateurs [Washington et ses trois successeurs]et fut à l’origine d’une école ardemment nationaliste de réflexion sur la Constitution. Les choix des différents héritiers néo-conservateurs reflètent leurs différentes généalogies.

Ce n’est pas que chacune des deux tendances rejette les préoccupations de l’autre. Ces préoccupations restent communes aux deux. C’est plutôt la manière de les combiner, le dosage des deux, qui les sépare. Kristol et Krauthammer peuvent bien être des patriotes américains, ils ne le cèdent à personne dans leur détermination à étendre la démocratie capitaliste au monde entier. En cela, peu d’universalismes sont aussi agressifs que le leur.

Inversement, Fukuyama peut critiquer l’exceptionnalisme des Etats-Unis, mais il n’a certainement pas abandonné la portion nationale de son héritage. Sa nouvelle revue n’est pas intitulée The American Interest pour rien. Krauthammer intitule son point de vue «Réalisme démocratique» alors que Fukuyama appelle le sien «Wilsonisme réaliste». Une distinction sans une différence ? Pas exactement, plutôt une inversion où les substantifs indiquent les allégeances premières et les adjectifs les allégeances secondaires.

Pour le noyau néo-conservateur, la puissance des Etats-Unis est le moteur de la liberté du monde. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir, aucun désaccord entre les deux. Pour Fukuyama, la coïncidence n’est pas automatique. Les deux peuvent diverger et rien ne peut mieux les séparer que de déclarer qu’ils ne le peuvent pas, en invoquant une vertu propre des Etats-Unis qui a peu de chances de convaincre personne d’autre. Comme il l’écrit: «Peu de gens croient que les Etats-Unis se comportent de manière désintéressée dans le monde parce que pour l’essentiel cela n’est pas vrai et en vérité ne saurait être vrai si les dirigeants des Etats-Unis assument leurs responsabilités envers le peuple des Etats-Unis. Les Etats-Unis sont capables d’agir avec générosité pour produire des biens publics mondiaux et ils ont été le plus généreux quand leurs idéaux et leurs propres intérêts ont coïncidé. Mais les Etats-Unis sont aussi une grande puissance avec des intérêts sans lien avec des biens publics mondiaux.» Nier cette vérité évidente conduit à des politiques qui nuisent aux intérêts des Etats-Unis  tout en ne produisant pas de biens mondiaux. Voyez Bagdad.

Comment alors peuvent-ils être au mieux réconciliés ? Fukuyama reste totalement acquis à la mission qu’ont les Etats-Unis de répandre la démocratie partout dans le monde et à l’emploi par Washington de tous les moyens efficaces à disposition pour faire cela. Sa critique à l’administration Bush, c’est que sa politique au Moyen-Orient a été non seulement inefficace, mais contre-productive. C’est une autre chose que de promouvoir un changement de régime intérieur par un bon mélange de pressions économiques et politiques. L’action militaire pour l’imposer de l’extérieur est d'une autre nature et conduit à des malheurs.

En réalité, il n’y a pas de frontière nette entre les deux dans le répertoire impérial. Fukuyama oublie le renversement réussi des sandinistes au Nicaragua, dont Robert Kagan est le principal historien. Ce fut un triomphe de volonté politique que Fukuyama a certainement dû applaudir à l’époque. Aujourd’hui, face aux conséquences de l’invasion de l’Irak, il cherche avant tout à prendre ses distances par rapport à cette sorte d’activisme. Et d’expliquer aujourd’hui qu’il n’existe pas de besoin universel de liberté qui garantisse que la démocratie surgira chaque fois qu’une société est libérée de la tyrannie.

La liberté moderne, selon lui, appelle typiquement certains niveaux de développement économique et social pour les mœurs qui sont nécessaires à la porter. Cela ne peut pas être créé du jour au lendemain, mais a besoin d’être soigneusement préparé pendant de nombreuses années. Des recettes néolibérales reposant sur les incitations du marché ne vont pas non plus apporter à elles seules l’ordre et la prospérité nécessaires. Pour cela un Etat fort, capable de «bonne gouvernance», est la condition essentielle. Une politique raisonnable des Etats-Unis cherchera plus souvent à encourager prioritairement un tel renforcement de l’Etat plutôt qu’à construire la démocratie dans les parties les plus dangereuses du monde.

Au service de cette révision, Fukuyama défigure son édifice original. Il nous assure aujourd’hui que La Fin de l’Histoire et le dernier homme était en fait un exercice de théorie de la modernisation. Que tout ce qu’il y disait, c’était qu’un désir de meilleur niveau de vie était universel, non de liberté, et que cela créait une classe moyenne qui tendait à exiger une participation politique, la démocratie émergeant finalement comme un effet secondaire de ce processus.

Cette banalisation d’un argument complexe de philosophie de l’histoire n’est pas qu’une tentative d’en simplifier le message à l’intention d’un public plus vaste. Il y a là comme une impulsion de le châtrer. Dans l’oeuvre qui a fait sa réputation, la quête de reconnaissance et la pulsion du désir sont les deux moteurs de l’histoire, suscitant respectivement la lutte pour l’égalité et le progrès de la science. L’imbrication des deux n’était jamais tout à fait réussie dans sa théorie, ce qui engendrait des décalages significatifs vers la fin de sa narration.

Cependant, dans la structure d’ensemble de son exposé, la signification respective que Fukuyama leur assignait était sans équivoque: le «désir qui repose derrière le désir» de l’Homo economicus est «une pulsion totalement non économique, la lutte pour la reconnaissance C’est la dialectique politique ainsi mise en mouvement qui était «le principal moteur de l’histoire humaine». L’univers mental d’Alexandre Kojève était vraiment très loin de celui des théoriciens de la modernisation comme Daniel Lerner [4] et Gabriel Almond [5].

Si cette conception semble aujourd’hui embarrasser un peu Fukuyama, c’est peut-être parce qu’il s’agissait d’une théorie du conflit à mort. Hegel et Kojève furent chacun dans son époque (Iéna, Stalingrad) des philosophes de la guerre. Leur héritage est trop agonique si l’objectif c’est tracer une frontière entre la prudence dans la direction de l’Etat que Fukuyama recommande nouvellement et la fureur démocratique de ses anciens amis du StandardWeekly.

Les platitudes de la théorie de la modernisation sont moins risquées. Mais il y a un prix à payer quand on descend au niveau intellectuel du «Nation-Building 101», le titre, sans trop d’ironie, d’un des articles récents de Fukuyama [Ce titre «Construction d’une Nation 101» se réfère à la tâche de reconstruction de l’Irak que doit assumer la fameuse division d’infanterie 101].

Etant un professionnel expérimenté des sciences sociales, Fukuyama n’est jamais moins que compétent. Il y a même dans sa critique des recettes du libre marché pour le développement des pays pauvres et dans son appel en faveur d’autorités publiques fortes, ce qu’on pourrait lire comme une réminiscence de sa formation hégélienne: l’idée de l’Etat comme le porteur de la liberté rationnelle. Cependant, les propositions hétéroclites faites à la fin de L’Amérique à la croisée des chemins: plus de recours à la puissance douce; plus de consultations avec les alliés; respect des institutions internationales; tout cela est d’un prévisible désolant. Ce sont les lieux communs de chaque éditorial ou périodique bien-pensants.

Le mieux qu’on puisse en dire, c’est qu’en proposant à la communauté des spécialistes de politique étrangère un prospectus réunissant les deux partis, elles scellent un vote pour Kerry ( le candidat démocrate} publiquement proclamé et une entente avec Brzezinski, qui co-édite The American Interest avec Fukuyama. Pas la plus minime suggestion dans ces pages de changer quoi que ce soit à l’accumulation stupéfiante de bases militaires à travers le monde, ou à l’étreinte des Etats-Unis sur le Moyen-Orient, encore moins à la symbiose avec Israël. Tout ce qui a conduit le pays au 11 septembre reste en place.

Il suffit de considérer l’étude dévastatrice sur le lobby israélien au Etats-Unis qu’ont publiée John Mearsheimer et Stephen Walt dans la London Review of Books (et non pas, c’est significatif, aux Etats-Unis) pour réaliser le gouffre énorme qui sépare la Muzak [allusion à la firme qui lança une musique répétitive dans les lieux publics dans les années 1930] stratégique de cette sorte, d’une authentique réflexion critique sur la politique étrangère des Etats-Unis par des auteurs qui, eux, ont mérité le titre «réaliste».

Après avoir commencé son nouveau livre sous l’égide de Wilson, qui a apporté l’évangile de la démocratie aux peuples de la Terre, Fukuyama le termine en recrutant Bismarck, qui sut pratiquer l’autolimitation quand il était victorieux, comme inspiration de sa «manière alternative pour les Etats-Unis de construire leurs relations avec le reste du monde.»

Il n’est pas difficile d’imaginer ce que le Chancelier de Fer, qui ne manquait pas d’un féroce sens de l’humour, aurait fait de son association aux Quatorze Points [allusion aux 14 points imposés par Wilson lors de la conférence de la paix en janvier 1919]. Avec de telles recettes, celles de Fukuyama comme celles de beaucoup d’autres, les Etats-Unis ne sont à aucune croisée des chemins. Ils sont justes là où ils ont toujours été, effectuant à leur convenance la quadrature du cercle de la philanthropie et de l’empire.

(Traduction R.L pour A l'Encontre)   

*  Perry Anderson, éditeur de la revue bimensuelle New-Left Review a publié cette analyse de l'ouvrage de Françis Fukuyama dans l'hebdomadaire américain The Nation, avec comme titre: «L’homme du sérail».

1. Leo Strauss (1899-1973) est né en Allemagne, près de Marburg. Il a servi dans l'armée allemande entre juillet 1917 et décembre 1918. Il passa son doctorat de philosophie à l'Université de Hamburg en 1921, sous la direction d'Ernst Cassirer. Il émigra en Grande-Bretagne face à la montée du nazisme, puis en 1937 au Etats-Unis où il disposa d'une poste de recherche dans le département d'Histoire de la Colombia University. Devenu citoyen américain 1944, il enseigna à l'Unversité de Chicago de 1949 à 1968, où il développa une critique de la «modernité» et du «libéralisme»

Sa réputation est, actuellement, fortement marquée par ses «élèves», ou par ceux qui s'en réclament. Ils constituent une longue liste de «néo-conservateurs» tels Paul Wolfowitz; Williamm Kristol éditeur du Weekly Standard (dont la chaîne de TV Fox News est la version populaire), ou encore John Podhoretz qui était partie prenante du staff dirigeant le Washington Post, etc. (NdR).

2. Robert Kagan est un des coauteurs du Project for the New American Century (PNAC) et signa,en janvier 1998, la lettre adressée au président Bill Clinton; une lettre qui résume des grands traits d'une orientation que l'administration Bush Jr mettra en oeuvre. Actuellement, Kagan, à Bruxelles, travaille pour le Carnegie Endowment for International Peace (NdR).

3. Alexandre Kojève (1902-1968) est né  en Russie. Il fit ses études en Allemagne et écrivit sa thèse sous la direction de Karl Jaspers. Elle était consacrée à un philosophe russe, Valdimir Soloyvov, fortement influencé par Hegel. Kojève de 1933 à 1933 enseigna à l'Ecole Pratiques des Hautes Etudes à Paris, en animant un séminaire sur Hegel.En 1947, il publia une Introduction à la lecture de Hegel. Ses liens personnels avec Leo Strauss ont assuré son influence aux Etats-Unis. Après la guerre Kojève, tout en gardant une activité philosophico-politique, travailla auprès du Minsitère français de l'économie (NdR).

4. Daniel Lerner est l'auteur de l'ouvrage classique The Passing of Traditional Society: Modernizing the Middle East (1950) (NdR).

5. G.Almond développa un vaste travail d'analyse comparative entre les pays occidentaux et «non-occidentaux», comme la Turquie, l'Iran, le Japon; il termina sa carrière à Stanford University; ses écrits entraient en écho avec la politique des Etats-Unis, après la seconde guerre mondiale, en direction des pays de la périphérie et se centraient sur les conditions «comparatives» du «développement et de la démocratie» (NdR).

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