Droit du bail
 
 

Le Parlement a fait le jeu des propriétaires immobiliers

Signez le référendum de l'Asloca !

Le 13 décembre dernier, le Parlement a adopté une révision du droit du bail. Celle-ci renforce scandaleusement la position des propriétaires à l'égard des locataires. Elle leur permettrait d'imposer des hausses massives de loyer et de multiplier les congés. L'Asloca a lancé un référendum. L'enjeu est décisif pour les salarié·e·s, qui sont dans leur trËs grande majorité des locataires. Nous vous invitons à signer ce référendum sans tarder.

Un pays de locataires

La Suisse a la réputation d'être un pays de locataires. Deux chiffres indiquent la portée de ce constat.

PremiËrement, la trËs grande majorité de la population ñ et encore plus des salarié·e·s ñ est locataire de son logement, et non pas propriétaire. En 1990, seuls 31,4 % des logements étaient occupés en Suisse par leur propriétaire, et ce taux est trËs inférieur dans les grandes agglomérations urbaines. En comparaison, cette proportion était, par exemple, de 37 % en Allemagne, de 54 % en France ou de 59 % en Italie.

DeuxiËmement, les loyers constituent, dans cette situation, une charge trËs lourde pour les ménages. En 2002, ils représentaient 20,8 % du ´ panier-type ª utilisé pour l'établissement de l'indice suisse des prix à la consommation (IPC). Pour nombre de familles ouvriËres, cette proportion est en fait plus élevée. Il n'est pas rare qu'un quart du salaire, voire davantage, parte chaque mois pour le loyer.

Les dépenses pour le logement et l'énergie constituent, avec 26 %, le poste le plus important dans la pondération du panier-type utilisé pour le calcul de l'IPC. C'est loin devant l'alimentation (11,7 %), la santé (14,5 %) ou les transports (9,8 %), sans même parler de l'habillement et des chaussures (4,5 %).

Les comparaisons internationales montrent d'ailleurs que le niveau des loyers est massivement supérieur à ceux en vigueur au sein de l'Union européenne. C'est même dans ce cas que l'écart est le plus important: de prËs de 80 %, contre prËs de 35 % en moyenne pour l'ensemble des biens de consommation privée (Etude économique de l'OCDE: Suisse, 2002, p. 132).

Le poids de la rente fonciËre

Ces données renvoient à une réalité. La rente fonciËre ainsi que les rentes provenant de la possession de biens immobiliers sont une source de revenus importants pour tout un secteur de la bourgeoisie helvétique. Compagnies d'assurances, grandes sociétés cÙtés en Bourse et spécialisées dans l'immobilier, promoteurs immobiliers qui se sont taillés des empires régionaux et caisses de pensions occupent une place de choix sur ce marché, dont l'objet est un bien tout simplement vital pour les femmes et les hommes: le logement. Plus largement, la ´ pierre ª reste, pour de larges secteurs bourgeois, un investissement sšr.

Dans une situation de pénurie de fait permanente, les propriétaires immobiliers et les accapareurs de la rente fonciËre ont structurellement une position de force face aux locataires, qui sont dans une grande part des salarié·e·s, voire de petits indépendants. Les mobilisations des locataires, au cours des années 70 et 80 ont abouti à quelques protections, limitées, pour les locataires, qui ont été finalement introduites dans le droit du bail entré en vigueur en 1990. C'est sur ces dispositions que les locataires et leur association, l'Asloca, s'appuient pour combattre les pratiques les plus abusives.

Dans le cadre de la contre-réforme néo-libérale des années 90, les propriétaires immobiliers n'ont cessé d'exiger la liquidation de ces protections, afin de permettre ´ au marché de fonctionner ª. La révision du droit du bail adoptée par les Chambres en décembre 2002 leur donne largement satisfaction. Si elle entre en vigueur, elle leur permettra de donner un coup de fouet à la rentabilisation de leurs propriétés ñ et donc d'augmenter les rentes qu'ils ponctionnent, chaque mois, sur les revenus des salarié·e·s.

La loi du marché

La révision adoptée par les Chambres révolutionne les critËres déterminant, légalement, si un loyer est ´ abusif ª, ainsi que les mécanismes d'adaptation des loyers. Cela renforcera massivement les possibilités offertes aux propriétaires immobiliers d'imposer les loyers qui leurs conviennent1. Qu'on en juge.

Aujourd'hui, un loyer est légalement considéré comme non abusif s'il fournit un rendement ´ équitable ª à l'investissement du propriétaire et qu'il correspond au ´ loyer usuel du quartier ª Les rËgles fixés par le Tribunal fédéral pour l'application de ces deux critËres sont strictes. Cela maintient la limite entre loyer abusif et loyer non abusif à un niveau relativement modéré.

Le nouveau droit adopté par les Chambres supprime ces dispositions et les remplace par un nouveau critËre: les loyers du marché. Les loyers des baux récents, qui sont en général significativement supérieurs à ceux pratiqués dans des immeubles plus anciens, tireront en permanence cette référence vers le haut. Pire, le bailleur pourra dépasser cette référence de 15 % sans que le loyer ainsi fixé soit considéré comme abusif. C'est donc un feu vert légal à l'envol des loyers.

Envol programmé des loyers

Cette dynamique ascendante des loyers est renforcée par une deuxiËme disposition du nouveau bail à loyer. Elle prévoit qu'en cas de changement de propriétaire, le nouveau bailleur a le droit d'adapter les loyers du bien qu'il a acquis un niveau du marché, majoré de 15 %.

C'est une sorte de garantie de rentabilisation de l'investissement immobilier qui est ainsi offerte. Il en découlera logiquement une augmentation de la valeur des biens immobiliers, puisque les loyers qui peuvent en être retirés peuvent trËs facilement être augmentés. Et une augmentation massive de la ponction subie par les locataires.

Actuellement, en cas de changement de propriétaire, le nouveau bailleur doit, pour pouvoir légalement imposer une hausse, apporter la preuve que le loyer actuel est insuffisant pour lui apporter un rendement considéré comme suffisant. Dans la pratique, les changements de propriétaires ne provoquent pas de fortes hausses de loyers.

L'arme des congés aiguisée

Ces changements ont une autre conséquence, qui renforce encore la position des bailleurs.

Aujourd'hui, un propriétaire qui veut donner congé à un locataire pour pouvoir relouer un appartement plus cher doit pouvoir prouver qu'il pourrait effectivement fortement augmenter le loyer en cas de changement de locataire. C'est la plupart du temps impossible.

Avec le nouveau droit, il sera par contre trËs aisé de prouver qu'un loyer est inférieur au prix du marché majoré de 15 %.

Les propriétaires disposeront ainsi d'une arme terrible pour dicter leurs conditions: vous acceptez l'augmentation de loyer ou vous recevez votre congé.

Indexation à 100 %

Le Parlement a avalisé une autre revendication des propriétaires immobiliers: le droit de répercuter chaque année le 100 % de l'augmentation du cošt de la vie sur les loyers. Actuellement, seuls 40 % de l'augmentation du cošt de la vie peuvent être répercutés sur les loyers.

Depuis une décennie, la majorité des salarié·e· ont perdu le droit à la compensation automatique du renchérissement. Mais les mêmes milieux qui ont mené la campagne contre cet automatisme, qu'ils dénoncent comme ´ d'un autre temps ª ou s'inspirant du ´ principe de l'arrosoir ª, l'imposent au profit des propriétaires immobiliers.

C'est un bel exemple d'un sens de classe de la ´ justice ª. De plus, comme les loyers représentent presque 21 % du panier-type de l'indice des prix, ces augmentations de loyer pousseront l'IPC à la hausse, ce qui justifiera de nouvelles hausses de loyerÖ et accélérera la diminution du pouvoir d'achat des salarié·e·s.

Baisses des loyers supprimées

Actuellement, le mécanisme principal d'évolution des loyers est le lien établi avec le taux hypothécaire. Lorsque le taux hypothécaire augmente, les bailleurs ont légalement le droit d'augmenter les loyers, selon une tabelle établie. Lorsque le taux baisse, les locataires peuvent réclamer une baisse équivalente.

Ce mécanisme est bien sšr trËs discutable. Il revient à transférer les risques liés au crédit du propriétaire au locataire. Il peut entraîner des hausses de loyers brusques et trËs fortes, comme à la fin des années 80 et au début des années 90. Il est construit sur une dissymétrie inacceptable: en cas de hausse du taux hypothécaire, la hausse de loyer tombe quasi automatiquement, mise en úuvre par les gérances. En cas de baisse du taux hypothécaire, le bailleur n'est pas l'obligation de la répercuter automatiquement sur les loyers. C'est au locataire de faire valoir son droit. L'ignorance, la crainte, la longueur de la procédure font que ce n'est qu'une petite partie des locataires qui font usage de cette possibilitéÖ et qui obtiennent souvent gain de cause.

Le nouveau droit du bail supprime toute référence au taux hypothécaire. Qu'est ce que cela aura comme conséquence ? Une hausse du taux hypothécaire provoquera un renchérissement des frais de construction et des charges des propriétaires. Par glissement, cela se traduira par une augmentation du niveau de référence des loyers du marché. Et donc par des hausses de loyer pour tout le monde. Le transfert de charge au détriment du locataire aura bien lieu. Par contre, une baisse du taux hypothécaire n'entraînera jamais une baisse des loyers de marché, à moins d'un complet écroulement du marché immobilier et d'une déflation. Et, dans ce cas, les locataires n'auront plus aucune possibilité légale d'exiger une baisse de leurs loyers. Cela sera tout bénéfice pour ceux qui concentrent la rente fonciËre et les revenus des biens immobiliers.

La réforme s'attaque aussi à une autre protection des locataires. Selon le droit actuel, une hausse de loyer qui n'est pas clairement motivée et en détail est nulle, ou annulable. C'est l'application du principe de la bonne foi. Le nouveau droit autorise au contraire des motivations lacunaires ou incompréhensibles.

Signer le référendum

Cette révision du droit du bail est un exemple supplémentaire de comment les autorités de ce pays refaçonnent, depuis plus d'une décennie, les lois au profit des dominants, dans ce cas des propriétaires immobiliers, comme elles l'ont fait au profit des propriétaires d'entreprises – les patrons – avec la révision de la Loi sur le travail, par exemple.

Ces changements légaux ont des conséquences directes sur les conditions de vie des salarié·e·s. La révision de la Loi sur le travail a accéléré la généralisation de la flexibilité à outrance et l'intensification du travail. Cette révision du droit du bail ouvre les portes à un hold-up des propriétaires immobiliers aux dépens des locataires-salarié·e·s. Il est donc urgent de s'y opposer en signant le référendum de l'Asloca.

Cliquer ici pour la feuille de référendum

1. Voir à ce sujet l'argumentaire de Nils de Dardel dans le numéro de janvier 2003 de Droit au logement, l'organe de l'Asloca. Nous reprenons ici ses arguments.

L'initiative de l'Asloca «pour des loyers loyaux»

La situation actuelle des locataires est loin d'être idéale. Leur protection légale face aux propriétaires est nettement insuffisante ñ même si le peu qui existe est encore de trop pour les milieux immobiliers.

Pour améliorer un peu le droit du bail, l'Asloca a lancé en 1996 son initiative ´ pour des loyers loyaux ª. Celle-ci pourrait être soumise au vote le 18 mai prochain. La révision du droit du bail adoptée par les Chambres en décembre 2002 constitue de fait un contre-projet à cette initiative.

Les points essentiels de l'initiative de l'Asloca sont les suivants:

1. La valeur de référence pour l'évolution des loyers n'est plus le taux hypothécaire du jour, mais la valeur moyenne de ce taux au cours des 5 derniËres années. Ce taux lissé a pour effet de fortement amortir les fluctuations, à la hausse comme à la baisse. De plus, les motifs d'adaptation dit absolus, existant dans le droit actuel (loyers usuels dans la localité ou le quartier, amélioration du rendement) sont éliminés.

2. La généralisation de la formule officielle pour tous les nouveaux locataires et une procédure simplifiée pour leur permettre de contester comme abusifs leurs loyers.

3. Un renforcement de la protection des locataires contre les congés, qui ne pourront intervenir que pour juste motif.

(28 janvier 2003)